Votre employeur vous reproche votre insuffisance professionnelle. S’agit-il vraiment d’insuffisance professionnelle ? Que risquez-vous et à quoi faut-il être attentif ? Les précisions de Nathalie Godard, chef de produit éditorial et juriste en droit social pour les Éditions Tissot, éditeur de documentations spécialisées en droit du travail depuis plus de 40 ans pour les RH et les CSE.Qu’est-ce que l’insuffisance professionnelle ?
L’insuffisance professionnelle peut être définie comme le fait de ne pas exécuter de façon satisfaisante son travail, de ne pas parvenir à réaliser les missions pour lesquelles le salarié a été embauché, et ce, malgré les outils et correctifs mis en place par l'entreprise (formation adaptée, matériel nécessaire, etc.). Autrement dit, l’insuffisance professionnelle ne correspond pas à une mauvaise volonté du salarié ou encore à une volonté délibérée de ne pas exécuter son travail ou de mal l’exécuter, mais à son incapacité à l’exécuter ou à l’exécuter correctement.
Evidemment la mission confiée doit être réalisable car, en droit comme dans la vie, «à l'impossible nul n'est tenu». En pratique, cela peut se traduire par des erreurs, des négligences, des oublis, des retards dans l’exécution de ses missions, des objectifs non atteints, etc.L’insuffisance professionnelle doit reposer sur des faits objectifs, précis et vérifiables
L'insuffisance professionnelle doit reposer sur des éléments objectifs, précis et vérifiables imputables au salarié (mécontentement des clients, baisse du chiffre d'affaires, pièces ou dossiers à reprendre engendrant des coûts supplémentaires, etc.). Il est important de retenir que la non-atteinte de la mission ou de l’objectif fixé doit résulter de la seule insuffisance du salarié : ainsi, si le salarié n'a pas atteint son objectif de chiffre d'affaires du fait de l'effondrement du marché, il n'en est pas responsable, et il ne peut pas valablement être licencié pour insuffisance professionnelle.
Concrètement, il peut s’agir d’éléments :
quantitatifs : des erreurs en nombre trop important, un rythme de travail ou un chiffre d’affaires insuffisant ;
ou qualitatifs : des compétences insuffisantes ou encore de mauvaises méthodes managériales.
Constituent des faits vérifiables et précis :
un délai de 7 semaines pour accomplir une tâche qui ne demandait pas plus de 1 semaine de travail ;
une baisse sur 2 années du chiffre d’affaires réalisé par un conseiller commercial, en comparaison avec celui réalisé par ses collègues ;
plusieurs erreurs de gestion ;
un manque d’organisation professionnelle ;
etc.
Les critères d’appréciation
Plusieurs critères d’appréciation peuvent être pris en compte.
vos fonctions : votre qualification et votre niveau de responsabilité ont une incidence sur l’appréciation de l’insuffisance professionnelle. Ainsi, le salarié qui a remplacé exceptionnellement un supérieur hiérarchique ne peut pas se voir reprocher des mauvais résultats, tout comme le salarié qui effectue des missions n’entrant pas dans le cadre de ses compétences ne peut pas se voir reprocher des maladresses ;
l’organisation de l’entreprise : si vous n’avez ni le temps ni les moyens d’effectuer correctement votre mission, la qualification d’insuffisance professionnelle ne pourra pas non plus être retenue. Tel est le cas, par exemple, si la faiblesse des résultats d’un salarié résulte non pas de ses capacités, mais des absences de personnel et d’une reprise d’activité à temps partiel, alors le licenciement pour insuffisance professionnelle est infondé ;
l’évolution de l’emploi ou des orientations stratégiques de l’entreprise. Vous devez, par exemple, avoir le temps de vous adapter à de nouvelles techniques ou aux nouvelles technologies. Votre employeur a l’obligation d’assurer votre adaptation à votre nouveau poste, notamment en vous proposant des formations, en vous donnant les informations fonctionnelles nécessaires et en permettant des essais préalables sérieux. Ainsi, un employeur ne peut pas valablement licencier pour insuffisance professionnelle un chef de secteur qui ne remplit pas ses missions et n’atteint pas ses objectifs s’il n’a pas mis en place des actions de formation et de tutorat, un plan de retour à la performance ou des actions d’accompagnement ;
la période de l’appréciation de l’insuffisance professionnelle. Par exemple, le licenciement d’un salarié pour insuffisance professionnelle, alors que ce dernier avait intenté une action en justice contre son employeur, est nul car contraire à la liberté fondamentale d’agir en justice ;
etc.Quelles sont les conséquences de l’insuffisance professionnelle ?
Avant d’envisager votre licenciement pour insuffisance professionnelle, votre employeur doit donc avoir pris les mesures nécessaires pour assurer votre adaptation à votre poste de travail et avoir envisagé, le cas échéant, de vous confier d’autres tâches susceptibles de mieux correspondre à vos capacités professionnelles.
Sous réserve qu’elle soit établie, l’insuffisance professionnelle peut constituer une cause non fautive mais réelle et sérieuse de licenciement, quels que soient votre poste et votre ancienneté.
Les faits liés à l’insuffisance professionnelle, faute d’être intentionnels, ne sont donc pas concernés par la procédure disciplinaire et ne sont pas visés par la prescription de 2 mois des faits fautifs.
La contestation de l’insuffisance professionnelle par le salarié
Si vous estimez que votre licenciement pour insuffisance professionnelle n’est pas fondé, vous pouvez le contester en saisissant le conseil de prud'hommes.
Si les motivations de votre licenciement ne sont pas suffisantes, celui-ci pourra être jugé sans cause réelle et sérieuse. Dans ce cas, à défaut de réintégration, votre employeur sera condamné à vous verser des dommages et intérêts d'un montant variant de 0,5 à 20 mois de salaire selon votre ancienneté (1 an minimum) et la taille de l’entreprise. Il pourra également être condamné, le cas échéant, à rembourser à France Travail une partie des allocations chômage perçues.
En cas de licenciement nul (C. trav., art. L. 1235-3-1), si vous ne demandez pas la poursuite de l'exécution de votre contrat de travail ou que votre réintégration est impossible, vous aurez droit aux indemnités légales de préavis et de licenciement (ou indemnités conventionnelles ou contractuelles si elles sont plus favorables), à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite de votre licenciement et à au moins 6 mois de salaire, et ce, quelle que soit votre ancienneté.
source : capital.fr