Adecco : pour éviter "la rareté de candidats et les personnes laissées-pour-compte", c'est une "responsabilité" de former les gens

Publié le 19 janvier 2024


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Il y a un an, ici même au Forum économique de Davos, il y avait une crainte de récession pour l'ensemble de l'Europe. Finalement, le continent y a échappé, avec une récession tout de même en Allemagne. Mais l'ensemble de l'Europe a plutôt bien résisté.

franceinfo : Christophe Catoir, est-ce que ce risque de récession est aujourd'hui derrière nous ?

Christophe Catoir : Alors le risque est toujours là. On voit que, notamment sur un plan géopolitique, il y a quand même beaucoup d'instabilité. Ce n'est jamais très bon pour le business et pour l'économie. Néanmoins, à très court terme, on voit qu'effectivement de nombreux pays, dont la France, ont échappé à cette récession. Dans ce contexte économique, on voit aussi une très bonne résistance de pas mal d'indicateurs, l'emploi en étant un, auquel on est très exposé au quotidien.

Justement, qu'est-ce que ça signifie au niveau du recrutement ?

Ça veut dire qu'on a un marché du recrutement qui est tout de même moins dynamique qu'il ne l'était il y a un an, dans la phase post-Covid, où chaque entreprise, chaque pays souhaitait retrouver les niveaux d'activité d'avant. Il y avait une croyance dans l'avenir une fois le Covid passé, on se pensait revenu à la normale, en reprenant des plans d'investissement.

Et aujourd'hui, on est plutôt dans une période d'attente ?

Oui, on voit qu'on a clairement une attente. Alors attention, on n'a pas la même actualité selon les industries que l'on représente. L'attente est clairement dans la consommation. On voit que l'inflation a eu des effets et dans ce domaine-là, les acteurs sont beaucoup plus prudents. On a vu aussi une pause dans le domaine de la tech, après des investissements massifs. A contrario, on voit des secteurs d'activité, notamment dans la mobilité, le tourisme, même dans l'hôtellerie-restauration, où l'activité est repartie très fort. Et là, par contre, les recrutements vont bon train et on parle toujours et encore de rareté de candidats et de difficultés à recruter.

Si maintenant on regarde par zone géographique, on sait que 2024 sera très riche en élections, avec une élection majeure aux États-Unis, en Inde aussi, et en Europe. Est-ce que ça va jouer sur le recrutement ?

Oui, les élections jouent toujours sur le recrutement. Malheureusement, quand une élection a lieu, il y a une pause qui s'opère dans l'économie. Sachant que le contexte peut changer radicalement selon que l'on a l'une ou l'autre des personnalités qui va gagner l'élection. C'est notamment le cas aux États-Unis, qui a connu une baisse assez marquée de l'activité il y a déjà maintenant un peu plus d'un an et demi. L'élection va être cruciale pour la suite. On voit la même chose aujourd'hui en Angleterre. Au Royaume-Uni, on a des élections importantes. On parle d'une possible alternance, ça crée de l'incertitude. Donc il y a une pause, mais probablement ça peut être le signal d'une reprise économique assez importante, qui précède celle que l'on peut ensuite trouver en Europe.

Alors petit focus sur la France, un marché que vous connaissez bien pour avoir dirigé Adecco France pendant de nombreuses années. Le taux de chômage en France remonte légèrement à 7,4% de la population active, au troisième trimestre 2023. Est-ce qu'il y a lieu de s'inquiéter ?

Effectivement, on peut considérer qu'il y a eu un ralentissement de la croissance. On l'a vu sur les derniers trimestres. Les perspectives tablent sur une croissance autour de 1% en 2024. Ce n'est pas un pourcentage qui permet de créer beaucoup d'emplois. Après, la démographie en baisse crée aussi moins de tensions sur le chômage en France. Néanmoins, le message c'est surtout de rester volontariste, c’est-à-dire volontariste en tant qu’économie, en tant que politique, de façon à créer des conditions qui favorisent l'investissement et qui fassent du terrain France un terrain d'investissement important.

À Davos, il y a de nombreuses entreprises françaises et des personnalités politiques qui nous rejoignent, dont Emmanuel Macron aujourd'hui. C'est important parce qu'en fait, pour créer de l'emploi, il faut de la croissance. Pour créer la croissance, il faut qu'il y ait une confiance dans l'environnement que l'on peut créer au titre d'un pays. La France, sur un plan international, a retrouvé des couleurs. Il convient de ne surtout pas relâcher l'effort et de maintenir cet environnement propice à l'investissement.

Le sujet omniprésent à Davos est celui de l'intelligence artificielle. Une des grandes craintes est la transformation du monde du travail, avec notamment la suppression de nombreux postes. Est-ce que c'est quelque chose que vous constatez dans le recrutement ? Est-ce qu'aujourd'hui il y a des postes qui ont disparu pour cause d'intelligence artificielle ?

À ce sujet, il y a la dimension rationnelle et la dimension émotionnelle. Pour la dimension rationnelle, oui, il y a une disruption qui est réelle. Il y a des petites évolutions technologiques et des grandes évolutions technologiques, là c'est une grande, voire énorme évolution technologique. Ça signifie que dans la façon de réaliser le contenu d'un métier, il y a de fortes probabilités, notamment sur ce que l'on appelle les cols blancs, que des changements soient opérés sur les contenus de mission, et donc qu'il faille avoir des compétences qui évoluent. Ça, c'est la réalité, il peut y avoir des destructions d'emplois, y compris sur des métiers qui ont été créés, comme autour de la modération des réseaux sociaux. Maintenant, vous pouvez modérer partiellement avec des technologies. Donc certains métiers sont impactés par cette intelligence artificielle, d'autres sont natifs de l'intelligence artificielle.

Pour moi, une des révolutions les plus importantes, c'est la collecte plus importante d'informations que jamais auparavant. Vous allez segmenter encore plus de votre base client, vous allez faire du sur-mesure, vous allez avoir un service qui va être beaucoup plus important sur certains segments de marché vendu plus cher, vous allez créer des jobs.

Donc vous avez des gagnants et des perdants. Ce qui est difficile à lire, c'est le rythme à suivre. S'il devait y avoir une seule crainte, c'est à ce niveau-là. La faculté que l'on a à pouvoir former les collaborateurs aux nouvelles modalités de leur job. S'il n'y a pas de formation, on risque d'avoir des problèmes encore plus importants de rareté de candidats et des personnes laissées-pour-compte et rejoignant les personnes au chômage, ce qui serait un drame. Donc on a une responsabilité en tant qu'entreprise là-dessus.

source : www.franceinfo.fr