Malgré l’absence d’évaluation, des députés préconisent de prolonger à nouveau l’expérimentation du CDI d’employabilité

Publié le 17 juillet 2023


Une "mission flash" menée par les députés Fanta Berete (Renaissance, Paris) et Stéphane Viry (LR, Vosges) préconisent de proroger de deux nouvelles années, l’expérimentation de CDI d’employabilité. En dépit de l’absence d’évaluation sérieuse du dispositif, les parlementaires considèrent "prématuré et même inopportun de mettre un terme à l’expérimentation dès la fin de l’année, à plus forte raison dans un contexte où la recherche du plein-emploi est érigée au rang de priorité nationale". Ce contrat est attaqué par le secteur de l’intérim, voyant là une concurrence déloyale à l’encontre du CDII.

 

 

"il nous semblerait prématuré et même inopportun de mettre un terme à l’expérimentation [des contrats de travail à temps partagé à des fins d’employabilité ou CDI d’employabilité] dès la fin de l’année, à plus forte raison dans un contexte où la recherche du plein-emploi est érigée au rang de priorité nationale. Il y aurait là une forme d’incohérence. C’est pourquoi nous proposons qu’elle soit prorogée une seconde fois, jusqu’au 31 décembre 2025", explique la députée (Renaissance, Paris), Fanta Berete, co-rapporteure avec Stéphane Viry (LR, Vosges) pour une "mission flash" dont les conclusions ont été présentées mardi 11 juillet 2023 à la commission des Affaires sociales.

UNE PREMIÈRE PROROGATION FIN 2020

Pour mémoire, l’expérimentation du CDI d’employabilité a été lancée par "l’article 115 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, issu d’un amendement porté par Fadila Khattabi", actuelle présidente (Renaissance, Côte-d’Or) de la commission des Affaires sociales, rappelle Stéphane Viry (lire sur AEF info). Initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2021, l’expérimentation a été reconduite jusqu’au 31 décembre 2023 par la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation "territoire zéro chômeur de longue durée" (lire sur AEF info).

"Par dérogation aux règles de droit commun régissant le travail à temps partagé, qui consiste dans la mise à disposition d’une entreprise utilisatrice, en pratique petite ou moyenne, d’un personnel 'qualifié' qu’elle ne peut recruter en raison de sa taille ou de ses moyens, le CDIE [proposé par les seules entreprises de travail à temps partagé] s’adresse, aux termes de la loi, à des femmes et des hommes qui rencontrent 'des difficultés particulières d’insertion professionnelle'", précise le député des Vosges. Ce CDI permet au salarié mis à disposition d’être "rémunéré à hauteur du dernier salaire horaire de base au cours des périodes dites d’'intermissions'" et d' "être formé durant le temps de travail, les actions de formation devant être sanctionnées par une certification professionnelle enregistrée au RNCP ou par l’acquisition d’un bloc de compétences". De plus, "le CPF du salarié est, en outre, abondé par l’entreprise de travail à temps partagé à hauteur de 500 euros supplémentaires par année de présence dans l’entreprise", poursuit Stéphane Viry.

"des règles peu contraignantes"

"Le travail à temps partagé à des fins d’employabilité, comme le travail à temps partagé d’une manière générale, est régi par des règles peu contraignantes", explique la députée, Fanta Berete. En effet, contrairement à l’intérim, "le recours au CDI d’employabilité n’est pas réservé à un ensemble de situations énumérées par les textes, le remplacement d’un salarié absent ou l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise par exemple".

De même, "la durée des missions effectuées pour le compte de l’entreprise utilisatrice n’est pas limitée, pas plus que le nombre de leur renouvellement" et au final, "le coût du contrat est moindre que celui du contrat de travail temporaire ou du CDI intérimaire", poursuit la représentante de la majorité relative.

CDI D’EMPLOYABILITÉ VS CDI INTÉRIMAIRE

Ce CDI d’employabilité est la "bête noire" de Prism’emploi, la fédération patronale du travail temporaire, qui considère que ce contrat expérimental vient concurrencer de façon déloyale son CDI intérimaire. Outre l’absence de motif de recours et de limitation de la durée de la mise à disposition d’une entreprise utilisatrice, Prism’emploi reproche au CDI d’employabilité de ne pas respecter l’égalité de traitement entre salariés mis à disposition et salariés de l’entreprise utilisatrice, de ne pas permettre aux salariés d’avoir accès aux couvertures conventionnelles en termes de prévoyance ou d’actions sociales — du FAS TT notamment — ou encore de n’être pas soumis au même taux de cotisations pour la formation professionnelle -1 % contre 2,67 % pour les CDI intérimaires —. Et les dirigeants de Prism’emploi ne ratent pas une occasion pour dénoncer ce "CDI au rabais", pour reprendre les termes d’Isabelle Eynaud-Chevalier, la déléguée générale de la fédération (lire sur AEF info).

Du côté du Syndicat des entreprises d’emploi durable - réunissant 22 entreprises de travail à temps partagé — qui constitue la principale source de la "mission flash", on ne cache pas la concurrence frontale du CDI d’employabilité en direction des CDI intérimaires. Dans un document, outre le fait d’expliquer que le CDI d’employabilité n’engendre "aucun" risque juridique à l’inverse d’un risque "élevé" de requalification des contrats pour les CDI intérimaires, le syndicat patronal estime que la totalité des CDI intérimaires sera transformée en CDI d’employabilité à l’horizon 2027.

"insuffisance des données disponibles"

"Il faut l’admettre d’emblée, à l’heure où la question de son avenir est posée, son évaluation est rendue compliquée par l’insuffisance des données disponibles", explique la députée Fanta Berete. Si la loi du 5 septembre 2018 prévoyait une obligation de communication pour l’employeur des informations afférentes aux CDI d’employabilité signés, rares ont été les remontées. "Pour pallier cette difficulté, le ministre du travail a confié à l’Igas une mission d’évaluation de l’expérimentation, dont les travaux devraient être conclus prochainement", rappelle-t-elle. Sans attendre les conclusions de l’Igas et à l’approche de la date butoir de la fin de l’expérimentation, la "mission flash" décide de communiquer "les données que le Syndicat des entreprises d’emploi durable […] a bien voulu transmettre" à la représentation nationale. Ainsi, il y aurait eu 7 000 CDI d’employabilité depuis le lancement de l’expérimentation et 2 500 seraient en cours, rapportent les deux députés.

"Il nous faut, par ailleurs, admettre que nous n’ignorons ni les réserves, ni les craintes que le dispositif peut susciter chez certains, en particulier dans le secteur de l’intérim. Toujours est-il, cela a déjà été dit, qu’il présente un certain nombre d’avantages et qu’il donne satisfaction aux parties prenantes", continue la députée de Paris. "Au bénéficiaire, il garantit la stabilité liée à la durée indéterminée du contrat, une rémunération minimale entre les missions et l’accès à des actions de formation destinées à favoriser son insertion professionnelle", continue-t-elle. Interrogée par des députés sur l’éventuel caractère inéquitable du contrat pour les salariés, Fanta Berete répond qu'"effectivement, c’est un dispositif qui est très flexible qui néanmoins, en tout cas au vu des retours que nous avons, protège quand même les travailleurs". Et d’ajouter que "nous sommes en France, nous avons un droit du travail et quel que soit le contrat, nous avons des gens qui tous les jours, peuvent aussi se rendre aux prud’hommes".

"À l’entreprise utilisatrice, [le CDI d’employabilité] offre un outil supplémentaire pour disposer d’une main-d’œuvre adaptée à ses besoins sur une période potentiellement longue, un élément précieux aux yeux des représentants de La Poste par exemple, où 673 [contrats] avaient été conclus fin avril 2023", poursuit la députée, ajoutant qu'"à la collectivité, il ne coûte rien".

"quelques aménagements"

"Il nous semble que cette prorogation [de deux années de l’expérimentation] pourrait être mise à profit pour apporter au dispositif quelques aménagements", explique Fanta Berete. "Il conviendrait d’en faire profiter un public plus hétérogène, plus éloigné de l’emploi, en accord avec les prescriptions de la loi" et notamment les bénéficiaires de minima sociaux ou les travailleurs handicapés visiblement "très peu représentés dans le total des bénéficiaires", poursuit Stéphane Viry. Outre la demande de faire remonter effectivement des informations sur les contrats conclus, le député considère qu'"il serait utile que le gouvernement, par l’intermédiaire des services déconcentrés du ministère du travail notamment, communique sur le dispositif auprès des acteurs économiques, de sorte qu’il gagne en notoriété".

"Une politique de l’emploi passe par des parcours d’insertion ou par des contrats spécifiques ou singuliers. C’est un contrat spécifique dont, à mon avis, on a besoin si on veut tendre la main, au titre de l’égalité des chances et des droits, auprès de celles et ceux qui sont le plus éloignés" de l’emploi, considère Stéphane Viry. "Cela aurait été dommage que le couperet tombe et que tout s’arrête du jour au lendemain, alors que nous sommes ici sur un public particulier en situation de vulnérabilité", conclut la présidente de la commission des Affaires sociales, à l’origine de l’initiative parlementaire lançant l’expérimentation, Fadila Khattabi.

 

source AEF