« Le Point » donne la parole à des actifs qui racontent les bouleversements du travail. Michel, cadre dans un grand groupe, raconte son retour au bureau.
Ça y est, c’est la rentrée, et cette fois pour de bon… Je travaille dans un grand groupe français et nous voilà de retour au bureau, de manière pérenne, je crois. Cela fait vraiment un drôle d’effet… Car, depuis des mois et des mois, en fait depuis le premier confinement de mars 2020, notre vie au travail est profondément chamboulée. C’est sûr, rien ne se passera plus jamais comme avant, même si nous avons enfin repris le chemin du bureau. Mon entreprise a proposé à chaque salarié de signer un avenant au contrat de travail. Le deal ? Huit jours de télétravail par mois. Cela revient à télétravailler deux jours par semaine et à être présent au bureau trois jours par semaine. Nous pouvons fixer librement ces deux journées de télétravail dans la semaine, il n’y a pas d’interdit concernant le lundi ou le vendredi, par exemple. »
Voir les gens en chair et en os, quel plaisir !
« Deux jours par semaine de télétravail, certains collègues se plaignent en disant que ce n’est pas assez, mais cela me convient parfaitement. Car je dois avouer qu’au fond je n’aime pas vraiment le télétravail. Je n’en pouvais plus de rester chez moi… C’est vrai que je suis plus productif en restant chez moi car je ne suis dérangé par personne, je peux me concentrer parfaitement, mais le travail ne se limite pas à la stricte production, il y a aussi une part de social. Les discussions qui se déroulent dans le couloir ou à la machine à café sont importantes, beaucoup de choses s’y disent, des idées y naissent. Voir les gens en chair et en os, quel plaisir ! Les réunions en visioconférence, c’est fatigant, ce n’est pas fluide. Quand on met la caméra, ce que je fais la plupart du temps, cela provoque forcément une tension du corps, on doit regarder son interlocuteur dans les yeux, on doit bien se tenir, faire attention à ce que l’on dit, à tous nos gestes… Quand je suis fatigué et que j’en ai marre, alors je bidouille un peu, je fais semblant d’avoir un problème, je dis que le réseau fonctionne mal, et hop, j’enlève la caméra… En fin d’année dernière, j’ai fait mon entretien annuel avec mon supérieur en visio, c’était horrible. C’est très difficile de parler de soi, de ses difficultés, de ses frustrations, de ses envies en regardant quelqu’un dans les yeux à travers un écran. Dans la vraie vie, on peut dévier de son interlocuteur, regarder ailleurs, c’est bien plus simple pour dire des choses importantes. »
Des injonctions contradictoires qui viennent de la hiérarchie
« J’apprécie d’être retourné au bureau, mais c’est malgré tout un peu déstabilisant. Depuis plus d’un an, en tant que salarié, on a l’impression d’être brinquebalé, avec plein d’injonctions contradictoires qui viennent de la hiérarchie… Bien sûr, nos chefs tentent de s’adapter à l’évolution de la pandémie, mais tout nous est imposé d’en haut, brusquement, sans préavis. Il y a encore quelques semaines, il ne fallait absolument pas venir au bureau, ouh là là, surtout pas ! Et, aujourd’hui, il faut revenir absolument, tout de suite, maintenant, vite, au bureau. J’ai beaucoup de collègues, des gens un peu solitaires ou avec des enfants en bas âge, qui ont vraiment du mal à revenir. En plus, il se trouve qu’à la faveur de la crise sanitaire nous avons changé de locaux, nous sommes passés en flex office, ce qui est une révolution pour nous, habitués à avoir chacun notre espace, nos petites affaires bien rangées. Aujourd’hui, quand j’arrive, je ne sais pas trop où je vais m’asseoir, les collègues que je connais sont un peu éparpillés dans les locaux. »
Certains arrivent bien tard le matin
« Et puis, si c’est si difficile pour certains de revenir, c’est parce que les gens se sont habitués à leur petit confort aussi… Cela fait un an et demi qu’on ne prend plus les transports en commun, qu’on peut aller faire les courses en plein après-midi, qu’on peut déborder en prenant plus de temps pour déjeuner. Il y a eu, et c’est normal, comme un certain relâchement. Alors, depuis la rentrée et le retour au bureau, il y en a qui se font remonter les bretelles parce qu’ils arrivent bien tard le matin… Vers 10 heures-10 heures et demie… C’est sûr qu’aller au bureau, cela fait perdre un temps de sommeil non négligeable. Il faut aussi s’habituer à vivre de nouveau en communauté. L’autre jour, je m’énervais tout seul à mon poste de travail parce que j’avais deux collègues qui parlaient très fort et je me disais : "Mais ils ne peuvent pas se taire à côté !" Mais je me suis calmé bien vite, je me suis raisonné, c’est ça aussi la vie de bureau… Mais j’ai remarqué que cette période de confinements répétés a des conséquences sur la psychologie des gens : de nombreux collègues sont à fleur de peau, manquent de patience, s’énervent vite… Il va falloir se réhabituer à vivre ensemble, et cela prendra du temps… »
source: www.lepoint.fr