Refus d’un CDI après un CDD ou une mission d’intérim : le Conseil d’État valide la suppression de l’assurance chômage

Publié le 04 août 2025


Depuis le 1er janvier 2024, un salarié en contrat court - CDD ou intérim - qui refuse à deux reprises une proposition de CDI pour un emploi identique ou similaire peut se voir privé de ses droits à l’assurance chômage.

Plusieurs organisations syndicales avaient saisi le Conseil d’État pour contester ce mécanisme. Mais par une décision rendue le 18 juillet 2025, la haute juridiction administrative a rejeté leurs recours. L’occasion de revenir sur les fondements juridiques de cette mesure, ses modalités d’application, et les arguments écartés par le juge.

Une mesure prévue par la loi « Marché du travail » de 2022

La loi du 21 décembre 2022, dite « Marché du travail », a introduit une disposition visant à durcir l’accès à l’assurance chômage pour les salariés en contrats courts qui refuseraient de manière répétée une stabilisation en CDI.

Concrètement, si un salarié en CDD ou en mission d’intérim refuse, deux fois dans les douze mois, une proposition de CDI portant sur le même poste ou un poste équivalent, il peut perdre le bénéfice de ses droits à l’allocation chômage. Le texte précise que la rémunération, la durée du travail, le niveau de classification et le lieu de travail doivent être similaires à ceux du contrat initial.

Le mécanisme repose notamment sur l’obligation pour l’employeur (ou pour l’entreprise utilisatrice dans le cas de l’intérim) d’informer France Travail du refus du salarié, au titre des articles L. 1243-11-1 et L. 1251-33-1 du Code du travail.

Des recours syndicaux contre le décret d’application

En février 2024, plusieurs organisations syndicales (FO, CGT, FSU, Solidaires) ont contesté devant le Conseil d’État la légalité du décret et de l’arrêté d’application. Elles faisaient valoir que ce dispositif portait atteinte à plusieurs droits fondamentaux : égalité d’accès à l’assurance chômage, interdiction du travail forcé, sauvegarde de la dignité humaine, droit à un recours effectif, et légalité des actes administratifs.

Les syndicats estimaient notamment que cette mesure instaurait une pression sur les salariés pour qu’ils acceptent un CDI, sous peine de perdre leur droit au chômage, ce qui pourrait s’apparenter à une forme de contrainte. Ils contestaient également l’absence de garanties procédurales suffisantes et de précision sur les éléments à transmettre à France Travail.

Le Conseil d’État rejette l’ensemble des arguments

Dans sa décision du 18 juillet 2025, le Conseil d’État a balayé l’ensemble des arguments soulevés par les requérants, confirmant la légalité du décret et de l’arrêté.

1.⁠ ⁠Pas de violation des droits fondamentaux

Sur l’argument de la discrimination ou du travail forcé, le Conseil d’État rappelle que les textes attaqués se bornent à organiser l’obligation, pour l’employeur, de signaler à France Travail le refus d’un CDI par un salarié. Or, cette notification en elle-même ne prive pas le salarié de ses droits, qui restent appréciés par France Travail au regard de l’ensemble de la situation, notamment la possibilité d’un motif légitime de refus.

Quant à l’article L. 5422-1 du Code du travail (relatif à la base légale de l’exclusion du chômage), le Conseil estime que sa conformité aux engagements internationaux ne peut être discutée dans le cadre d’un recours contre un décret. Il s’agit d’une disposition législative, dont la contestation relèverait d’un autre type de procédure.

2.⁠ ⁠L’absence de QPC empêche un contrôle de constitutionnalité

Les syndicats invoquaient également une atteinte à la dignité humaine et au droit à l’existence d’un régime d’assurance chômage. Mais pour le Conseil d’État, cela revient à contester la constitutionnalité de la loi elle-même, ce qui ne peut être fait que via une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Or, aucune QPC recevable n’avait été transmise dans ce cadre.

3.⁠ ⁠Respect des droits procéduraux du salarié

Concernant le droit à un recours effectif, les juges ont estimé que les textes prévoyaient déjà un encadrement suffisant :

L’employeur est tenu de laisser un « délai raisonnable » au salarié pour répondre à la proposition de CDI,
L’absence de réponse vaut refus implicite ;
France Travail informe le salarié des conséquences potentielles d’un refus répété sur l’ouverture de ses droits à l’allocation ;
Le salarié peut également présenter à France Travail tout élément justifiant son refus, y compris un motif légitime, qui pourrait être pris en compte.
France Travail reste toutefois le seul organisme compétent pour évaluer si ce refus est justifié et donc, si la sanction (privation d’allocation) peut être écartée.4. Des obligations de transmission suffisamment encadrées

Enfin, le Conseil d’État écarte l’argument relatif à un manque de précision sur les éléments à transmettre à France Travail. Il reconnaît que les dispositions applicables aux intérimaires sont moins détaillées que celles concernant les CDD, mais cela ne rend pas, celui lui, le décret illégal. Les informations requises peuvent être déduites du contenu du contrat initial, notamment la rémunération ou la durée de travail. L’arrêté, quant à lui, se contente de fixer les modalités techniques de transmission, ce qui ne nécessite pas de niveau de détail supplémentaire.

Un dispositif applicable

En validant l’ensemble de son cadre réglementaire, le Conseil d’État confirme l’applicabilité du dispositif issu de la loi de 2022. Les refus répétés de CDI à l’issue d’un contrat court peuvent donc bel et bien entraîner la perte des droits à l’assurance chômage, sauf « justification valable » - ici encore, le rôle de France Travail reste central dans cette appréciation au cas par cas.

La décision marque donc un tournant dans la politique de l’emploi, en renforçant les contraintes pour inciter le demandeur d’emploi à accepter un CDI. Une évolution qui s’inscrit dans la logique de responsabilisation des dernières réformes, et qui continue de faire débat sur le plan social.

source : previssima