Fraude fiscale de l’entreprise : les pistes pour rétablir la participation des salariés floués

Publié le 20 avril 2023


Les députés Louis Margueritte et Eva Sas proposent des solutions pour rétablir la participation réduite voire nulle pour les salariés en cas d’optimisation et de fraude fiscale de leur entreprise.

10,5 millions d’euros. C’est le montant des primes de participation que les salariés de General Electric (GE) ont perdu entre 2015 et 2020, d’après une estimation mandatée par le comité social et économique de l’entreprise (CSE). Dans une mission d’information sur l’évaluation des outils fiscaux et sociaux de partage de la valeur dans l’entreprise, dont les conclusions ont été présentées le 12 avril, les députés Louis Margueritte (Renaissance) et Eva Sas (EELV) se sont saisis des propositions d’élus syndicaux qui s’estiment lésés par l’optimisation fiscale mise en place dans leur entreprise.

Les élus notent que “l’optimisation fiscale a nécessairement un impact sur la participation”. “Ainsi que l’a indiqué la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, ndlr) aux membres de la mission, toute formule de la participation assise sur un indicateur de résultat, qu’il soit comptable ou fiscal, est confrontée à des limites liées à des pratiques d’optimisation fiscale”, précisent-ils. Dans leur viseur : les prix de transfert. Il s’agit de transferts que peuvent opérer les filiales d’un groupe à leur maison-mère localisée dans un autre pays à la fiscalité plus avantageuse, ce qui réduit le résultat fiscal et le résultat comptable en France. Et donc l’assiette de la participation.

“C’est une bonne nouvelle que nos propositions soient reprises, cela permet de mettre la lumière sur cette évasion fiscale qui porte préjudice aux salariés, aux entreprises et à l’Etat. On parle de partage de la valeur, mais si l’assiette est artificiellement réduite, il ne reste plus beaucoup à partager entre les parties prenantes”, réagit Philippe Petitcolin, délégué CFE-CGC chez GE. La multinationale américaine qui a repris Alstom en 2014 est soupçonnée d’avoir eu recours à de la fraude fiscale. Entre 2015 et 2020, GE a ainsi transféré 850 millions d’euros de profits à l’étranger, notamment en Suisse, “occasionnant une perte de participation de 10,5 millions d’euros pour les salariés”, souligne le rapport d’information des députés. Ce n’est pas la seule société dans ce cas : Procter & Gamble aurait aussi transféré quelque 5,5 milliards d’euros de base fiscale, entraînant une perte de 371 millions d’euros de participation pour ses salariés.

“Ces affaires, ce sont de long combat, la première étape étant de parvenir à indiquer qu’il y a effectivement eu un transfert injustifié et sans contrepartie de la filiale vers la société-mère”, explique Maître Roland Zerah, avocat des élus de GE, Procter et Gamble et Xerox, une autre entreprise dont le schéma d’optimisation fiscale aurait fait perdre leurs primes de participation aux collaborateurs.

Deux propositions ont donc été retenues par les députés pour rétablir les droits des salariés, en cas de fraude fiscale avérée. La première : mettre à disposition des CSE le fichier principal (masterfile) et le fichier local (local file), des documents qui mentionnent les flux financiers inter-filiales. “Sans ces documents, on ne peut pas commencer une analyse des prix de transfert, et on ne peut donc pas les contester”, développe Philippe Petitcolin. Cette proposition a reçu le soutien de la députée Eva Sas.

Ensuite, les co-rapporteurs s’accordent sur une modification de l’article L.3326-1 du code du travail qui dispose que “le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application du présent titre”. Censé initialement protéger les salariés, cet article empêche en réalité une réévaluation de la participation, dès lors que le bénéfice net a été certifié avec sincérité par le commissaire aux comptes, et ce, même si une fraude est prouvée par la suite. Les députés proposent donc qu’une réévaluation à la hausse du montant de la prime de participation soit permise. Ils souhaitent aussi que cette modification des textes puisse concerner les affaires en cours.“Maintenant, il faudra que ces propositions soient reprises dans la loi”, insiste Philippe Petitcolin, qui a été auditionné par les parlementaires et est à l’origine de ces propositions. Cette mission d’information s’inscrit dans les débats autour d’un meilleur partage de la valeur au sein des entreprises, dans le but de redonner du pouvoir d’achat aux salariés, après plusieurs mois d’inflation record. Prochain chantier du gouvernement après la réforme des retraites, le projet de loi plein-emploi devrait être présenté en conseil des ministres fin mai. Censé retranscrire l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur signé par les partenaires sociaux en février dernier, il pourrait aussi se nourrir des propositions des députés.

 

source : www.capital.fr