François Hommeril : « Le seul responsable du conflit sur les retraites, ce sera Emmanuel Macron »

Publié le 15 décembre 2022


La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron a déjà réussi un petit exploit : faire glisser la CFE-CGC, le syndicat des cadres, dans le camp des opposants résolus. Très remonté, son numéro un, François Hommeril, s’en explique. Par le passé, la CFE-CGC a déjà approuvé des réformes qui consistaient à décaler l’âge de la retraite. En quoi estce différent cette fois-ci ? François Hommeril C’est très exactement la question que m’a posée Elisabeth Borne quand elle m’a reçu à Matignon le 8 décembre. Eh bien, la réponse est simple : le problème de cette réforme, c’est qu’elle n’a aucune justification, ni technique ni politique. Quand on a porté en 2010 l’âge de départ de 60 à 62 ans, c’est parce que la vague du papy-boom n’était pas encore absorbée et donc que le régime par répartition était en danger. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aucune justification ? Le gouvernement met pourtant en avant les prévisions du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), qui évoque 10 milliards d’euros de déficit à la fin du quinquennat… Le rapport du COR est basé sur des hypothèses très contestables. Par exemple, pourquoi suppose-t-il que le chômage va remonter après 2028 ? La réalité, c’est qu’on n’en sait rien, et donc qu’il n’y a pas d’urgence. Vous savez, les partenaires sociaux savent très bien anticiper les choses puisque nous gérons des caisses de retraite qui ont accumulé, au total, 180 milliards d’euros de réserves [notamment au sein des caisses de retraite complémentaire Agirc-Arcco, NDLR]. Alors que l’Etat, lui, voit sa dette s’envoler. Les partenaires sociaux n’ont donc aucune leçon à recevoir du gouvernement. Une fois démonté l’argument financier, il reste l’argument politique. Le gouvernement nous dit : « On a besoin de financer l’école, de payer l’hôpital… » Mais les gens ne sont pas bêtes. Ils voient bien que les dividendes explosent. Ils voient bien qu’on baisse les impôts des entreprises – encore 8 milliards d’euros jetés à l’eau cette année. Et il n’y aurait pas d’autre solution que de travailler plus longtemps ? C’est inacceptable ! Le Medef, lui, n’a qu’à tendre sa sébile pour obtenir tout ce qu’il veut, sans contreparties : « Donnez-moi de l’argent, mon bon monsieur… » Et pourquoi on n’inverserait pas les choses ? Pourquoi ne dirions-nous pas au patronat : « Ça suffit, on vous donne du pognon, mais à condition que vous vous engagiez à maintenir les seniors dans l’emploi » ? Avez-vous l’espoir de faire obstacle à la réforme ? En 2019, la mobilisation syndicale avait été puissante dès la rentrée de septembre. Rien de tel cette fois-ci… Je ne sais pas à quoi il faut s’attendre car rien ne se passe jamais comme prévu. Ce dont je peux témoigner, c’est de l’exaspération des Français. Elle est à son maximum. Partout, dans les entreprises, j’entends des gens me dire qu’ils n’ont pas l’habitude de faire grève et de manifester mais que, cette fois, ils se mobiliseront. Emmanuel Macron ouvre les vannes d’un conflit. Il a détruit la digue et personne ne sait quelle sera l’ampleur des dégâts. En tout cas, il faudra avoir les idées claires : le seul responsable de ce conflit, ce sera Emmanuel Macron. C’est lui qui, face à l’évidence, aura décidé tout seul de l’ouvrir. Y aura-t-il des grèves de trains à Noël ? Peut-être le gouvernement le souhaite-t-il pour rendre le mouvement impopulaire, mais je ne le crois pas. Une fois le conflit ouvert, nous regarderons comment faire valoir nos positions. Nous fonctionnerons en intersyndicale car nous sommes tous sur la même ligne. Le fait que le gouvernement ait décidé d’attendre janvier pour présenter son projet ne trompe personne, c’est même un signe supplémentaire qu’il craint notre front syndical uni. Avez-vous prévu une forme de coordination avec les oppositions parlementaires ? Je ne compte pas me mêler des joutes politiques ; cela ne relève pas de mon périmètre. En revanche, dès lors qu’un acteur politique souhaite nous recevoir pour entendre nos arguments, nous répondons à l’invitation – notamment dans le cadre des travaux en commission. Travailler plus longtemps, la plupart des autres pays le font. La France peut-elle faire exception ? Mais la France est une exception ! Nous avons un système de retraite qui fonctionne très majoritairement par répartition. Cela nous permet de maintenir un taux de pauvreté des retraités bien plus bas que chez tous nos voisins. Le niveau de vie des retraités est quasiment égal à celui des actifs. Nous sommes une exception et nous pouvons en être fiers ! Votre syndicat représente les salariés cadres. Or un cadre entre plus tard sur le marché du travail, il doit donc déjà travailler après l’âge légal de 62 ans. Cette réforme est-elle si pénalisante pour vos troupes ? Vous dites « un cadre », ce qui est un mot non genré. Mais, moi, je vais le genrer. Prenons un homme et une femme qui entrent ensemble sur le marché du travail à 24 ans et doivent aujourd’hui travailler 42 années. L’homme, s’il n’a jamais eu d’interruption de carrière, peut prendre sa retraite à 66 ans. La femme, si elle a eu deux enfants, bénéficie de deux années par enfant ; elle peut donc partir à 62 ans. C’est rendu possible grâce à ce dispositif de rééquilibrage de l’inégalité fondamentale entre l’homme et la femme dans le déroulement de leur carrière. Vous voyez donc que décaler l’âge de départ est au désavantage des femmes ! Quand on le dit aux membres du gouvernement, ils baissent la tête car ils le savent très bien. Le gouvernement maintient à 67 ans l’âge du taux plein pour les salariés qui n’ont pas tous leurs trimestres, c’est positif ? C’est compliqué de dire que telle ou telle mesure atténue les effets d’une réforme inacceptable dans son fondement. Idem quand on nous parle de porter l’âge de départ à 64 ans plutôt qu’à 65. Tout cela, c’est de la tactique pour essayer de vendre quelque chose d’invendable. Cela ne m’intéresse pas parce que je considère que le produit n’est pas consommable. Vous avez été reçu à plusieurs reprises par le gouvernement, comme les autres responsables syndicaux et patronaux. Certaines de vos demandes ont-elles été prises en compte ? Non. Jamais. Cette concertation était factice. Elle n’a servi à rien. Macron a peu de considération pour les partenaires sociaux, et d’ailleurs il l’assume. D’une certaine façon, Macron, c’est l’anti-de Gaulle qui, lui, a mis en place la gestion paritaire, en disant aux partenaires sociaux : c’est vous qui êtes sur le terrain, c’est vous qui savez quoi faire. Une vision puissante ! Macron, à l’inverse, estime que notre place est seulement dans les entreprises. Tout ce qui a si bien marché pendant des années, il s’attache à le détruire.

Bio express

1961. Naissance en Normandie.

1986. Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de Géologie, puis doctorant au CNRS à Nancy.

1990. Ingénieur chez Aluminium Pechiney, devenu Rio Tinto, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), adhésion à la CFECGC et élection au conseil d’entreprise.

2010. Secrétaire confédéral de la CFE-CGC, sous le mandat de son président Bernard Van Craeynest.

2016. Première élection à la tête de la CFE-CGC

source:www.nouvelobs.com