la CFE-CGC séduit les cadres en cassant les codes!

Publié le 19 novembre 2021


Yves Veyrier (FO), Laurent Berger (CFDT), Cyril Chabanier (CFTC) et Francois Hommeril, président de la CFE-CGC, à Matignon en 2020. Rugueux et provocateur, Hommeril a su imposer sa centrale. (Eric Tschaen/Réa)

Syndicat réformiste ou contestataire? La centrale, menée par François Hommeril, perce dans les entreprises grâce à sa stratégie hybride: radicale au plan national, conciliante sur le terrain. Un poil à gratter qui déroute.

C'est un syndicat qui cultive sa singularité. Réformiste comme la CFDT? Non. Contestataire comme la CGT? Non plus. Un peu des deux? Oui. La CFE-CGC, organisation fondée en 1944 pour représenter les cadres et les techniciens, a adopté ce positionnement atypique qui rapporte gros. Lors de la dernière mesure de la représentativité des syndicats publiée en mai, elle a obtenu près de 12% des voix, en nette progression par rapport à 2017 (10,6%). Soit un gain de 38.000 voix en quatre ans. Une belle performance qui dénote par rapport à l'atonie des autres centrales. "La CFDT stagne, la CGT perd des voix, analyse Raymond Soubie, président du cabinet de conseil Alixio et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. La CFE-CGC est le seul syndicat représentatif qui progresse très nettement." Pour la plus grande fierté de François Hommeril, son virevoltant président: "C'est un résultat remarquable que je veux dédier à nos militants sur le terrain, à la qualité de leur travail et à leur investissement sans faille."

 

A sa tête depuis 2016, cet ancien délégué du personnel chez Péchiney est l'artisan de cette progression. Avec son style rugueux et volontiers provocateur, il a su braquer les projecteurs sur son organisation en rompant avec l'attitude plus consensuelle de sa prédécesseur, Carole Couvert, critiquée en interne pour avoir trop suivi la CFDT lors de la loi Travail de 2016. "Nous voulons incarner une sorte de troisième voie, commente celui qui devrait briguer un troisième mandat en mars 2023 lors du prochain congrès à Tours. Quand on a des choses à dire, on le dit. Et parfois ça peut piquer."

Etre un poil à gratter, le président de la CFE-CGC en a fait une marque de fabrique. Et quand il tape sur le gouvernement, il n'y va pas par quatre chemins. La dégressivité de l'allocation pour les cadres demandeurs d'emploi, l'une des mesures choc de la réforme de l'assurance-chômage? "Du populisme visant à stigmatiser les cadres afin de rogner les droits des chômeurs plus modestes." La réforme des retraites? "Un objet purement politique de campagne électorale, dont le slogan est devenu “faire une réforme pour faire une réforme”; c'est bidon!" Ce positionnement radical déroute le gouvernement et le patronat, peu habitués à voir cette centrale jouer les rebelles. "On devrait rebaptiser ce syndicat la “CFE-CGT”, tant il a dévié à gauche, peste un conseiller ministériel. Mais les déclarations fracassantes, c'est uniquement de la com."



La CFE-CGC gagne du terrain depuis 2013, et a même progressé de 38.000 voix entre 2017 et 2021. Une performance notable qui la rapproche de FO, en recul comme la CGT.

Contestation utile

L'organisation frise la schizophrénie entre ce discours très contestataire sur la scène nationale et des pratiques bien plus réformistes à l'intérieur des branches sectorielles ou des entreprises. "Mais ce paradoxe ne gêne pas forcément les fédérations professionnelles et les délégués syndicaux, note Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail. Au contraire, ça leur donne une image de durs qui peut les servir en période d'élections ou de négociations."

Mais sur le terrain, la CFE-CGC joue à fond le jeu du dialogue et des accords avec les employeurs. Ce qui explique aussi son succès dans les entreprises. "On négocie dans l'intérêt des salariés, mais en prenant en compte la réalité économique parfois compliquée d'une société, témoigne Anh-Quan Nguyen, délégué du syndicat chez PSA, le constructeur automobile français. Nous sommes des partenaires exigeants."

Donnant-donnant payant

L'exemple de PSA est particulièrement parlant. En 2012, le contexte social au sein de la firme au lion est explosif. Le groupe perd 5 milliards d'euros et un plan de licenciement de plus de 11.000 personnes est décidé. Au lieu de bloquer les usines et de brûler des pneus, les représentants de la CFE-CGC choisissent de se mettre autour de la table pour "bâtir un nouveau contrat social avec la direction", qui inclut le gel des salaires pendant trois ans en échange du partage de données stratégiques sur le lancement des nouveaux modèles et la R&D. Durant la crise sanitaire, l'organisation a aussi été motrice pour conclure un accord d'activité partielle de longue durée afin de "limiter la casse sociale".

En parallèle, elle a été très active pour développer le télétravail ou le partage des bénéfices, deux sujets cruciaux pour les cadres. Une stratégie payante: lors des dernières élections professionnelles chez PSA, la CFE-CGC est passée devant la CGT, en obtenant 18% des suffrages, juste derrière Force ouvrière. Certes, l'entreprise compte de plus en plus de cadres et de moins en moins d'ouvriers, ce qui a favorisé sa progression.

La réussite est encore plus éclatante à BNP Paribas, première banque française. En 2019, le SNB (Syndicat national de la banque), affilié à la CFE-CGC, est devenu majoritaire en obtenant 51% des voix, loin devant la CFDT (26,5%), avec une ligne très ouverte au dialogue avec la direction. Ici, la recette tient en plus à l'engagement des troupes: "On recrute et on forme des syndicalistes dans lesquels les salariés peuvent se reconnaître, avance Rémi Gandon, le patron de la Fédération des métiers de la finance et de la banque. Nous travaillons très en amont les dossiers pour être prêts lors des négociations." Une méthode efficace pour pousser la direction dans ses retranchements et obtenir des victoires à faire valoir auprès des employés. "Environ 70% de notre temps est dévolu à transmettre de l'information aux salariés pour les aider à évoluer", complète Rémi Gandon.

Batailles sélectives

Mais, quand il le faut, la CFE-CGC sait aussi montrer les muscles. C'est le cas à Belfort, où ses représentants à General Electric se sont associés en mai 2021 à leurs très radicaux collègues de SUD pour attaquer en justice la société américaine. L'intersyndicale demande qu'un accord datant de 2019 prévoyant la création de 1.000 emplois sur trois ans et leur localisation en France jusqu'en 2025 soit appliqué à la lettre. Pour sensibiliser les responsables politiques et l'opinion publique, la CFE-CGC a même organisé début octobre un forum "sur la reconstruction de l'industrie" avec des économistes, des élus de tous bords, des syndicalistes et des chefs d'entreprise. Une autre façon de protester qui séduit: la centrale est maintenant la première organisation représentative sur le site belfortin. Une victoire de plus au tableau de chasse d'un syndicat décidément inclassable.

Un vivier d'électeurs que tous s'arrachent
En 2020, un cap historique a été franchi. Pour la première fois, l'Hexagone compte plus de cadres (20% des personnes en emploi) que d'ouvriers (19%). Et si la tendance se poursuit, ils deviendront le premier groupe social d'ici à 2050, devant les professions intermédiaires, qui ont elles-mêmes dépassé les employés. De quoi décupler l'appétit des centrales syndicales pour ce vivier d'électeurs plus diplômés et plus exigeants. Et, grande nouveauté, ils sont prêts à se syndiquer: "Avec la mondialisation, les cadres sont aussi touchés par les plans sociaux et les délocalisations , décrypte Gabriel Artero, le président de la fédération métallurgie de la CFE-CGC. Du coup, ils s'engagent pour défendre leurs droits." La bataille fait rage pour attirer leurs suffrages. Pour l'heure, la CFDT fait la course en tête avec 27% des voix, largement devant la CFE-CGC (19,4%) et la CGT (19,3%). Mais l'écart se resserre, puisque la CFE-CGC a gagné plus d'1 point selon la dernière mesure de la représentativité.

source :www.challenges.fr