Le télétravail, une nouvelle vague de délocalisations dans les services?

Publié le 02 juillet 2021


Télétravail : le spectre d'une nouvelle vague de délocalisations

La généralisation du télétravail dans les services pourrait inciter les entreprises des pays développés à délocaliser leurs employés dans les pays émergents, moins chers. Des millions d'emplois pourraient être concernés à terme.

Le télétravail aura peut-être une conséquence aujourd'hui encore largement cachée. Sa généralisation pourrait bien enclencher une nouvelle vague de délocalisations dans les services. Si un emploi n'exige pas que le salarié soit présent dans les bureaux de son entreprise à La Défense, si les tâches peuvent être effectuées depuis un petit village de Provence, alors pourquoi ne pourraient-elles pas l'être depuis Casablanca ou Bangkok ? C'est ce que pensent les économistes de Coface et un précurseur de ce sujet, Richard Baldwin. 

Ce professeur d'économie à l'université de Genève appelle ce phénomène la « télémigration ». Une mondialisation numérique qui ouvrirait une nouvelle ère où les emplois qualifiés ne seraient plus à l'abri de la compétition mondiale. 

La généralisation du télétravail

« Avant le Covid, nous étions déjà dans un monde où les barrières technologiques mais aussi linguistiques, avec le développement des traducteurs automatiques, avaient tendance à s'abaisser. Puis la crise a poussé les entreprises à investir massivement dans le numérique. Mais le vrai changement culturel, c'est la normalisation du télétravail », explique Marcos Carias, économiste chez Coface.

Selon une enquête réalisée aux Etats-Unis, la part des entreprises prêtes à embaucher à plein temps des travailleurs à distance basés à l'étranger est passée de 12 % avant la pandémie à 36% à la fin 2020.



Les sociétés de services informatiques, les centres d'appels ou encore la gestion de la paye connaissent déjà ce phénomène. Mais à en croire Richard Baldwin, le phénomène va toucher d'autres secteurs. Et ce seront les emplois de la classe moyenne supérieure, ceux des cadres et des bac+5 qui seront touchés. Cette fois-ci, ce ne seront pas les ouvriers de la sidérurgie lorraine qui passeront sous le couperet du marché mais les avocats, les architectes ou d'autres. 

Une forte incitation à délocaliser

« La mondialisation est déterminée par des arbitrages. Quand la différence de coût entre les pays est plus élevée que le coût du commerce, les entreprises exploitent l'écart de coût. Or, dans le cas des services, l'incitation à faire cet arbitrage est très grande puisque le coût du travail qualifié dans des pays émergents peut être 20 à 30 fois moins cher », selon le professeur de l'université de Genève qui s'exprimait lors d'une conférence il y a un mois. Sans compter que les entreprises seront endettées en sortie de crise et vont chercher à réduire leurs coûts. 

Selon Richard Baldwin, « le problème de la délocalisation des services est d'une ampleur bien plus importante que celle de l'industrie ». Au moins un tiers de tous les emplois peuvent être réalisés au moins en partie en télétravail dans les pays développés et l'industrie ne représente plus que 10 % à peine des emplois. Selon Coface, 160 millions d'emplois peuvent être télétravaillés dans les pays développés alors que le nombre de télétravailleurs potentiels dans les économies en développement avoisine les 330 millions. 

« La difficulté pour les pays riches va être de répondre autrement que par un protectionnisme destructeur. Il va falloir que les pays développés justifient le coût de leur main d'oeuvre, ce qui va nécessairement poser la question de l'éducation et de la formation », estime Marcos Carias. Pas facile. D'autant que si le risque de délocalisations se matérialise, alors les tensions politiques dans les pays riches, déjà fortes, vont devenir très difficiles à gérer.

Source: www.lesechos.fr