« Congé respiration » : chez Orange, les salariés peuvent s'absenter un an en étant rémunéré

Publié le 05 novembre 2022


Depuis janvier 2022, les salariés d'Orange qui ont au moins dix ans d'ancienneté peuvent prendre ce que le groupe appelle un « congé respiration » et s'absenter durant trois à douze mois, en percevant au moins 70 % de leur salaire. Une bouffée d'air frais censée permettre aux collaborateurs de revenir plus motivés.

Cours de droit, d'anglais… Depuis juin, Brehima Diarra, 35 ans, suit une formation à l'Institut préparatoire au métier d'agent de football, à Paris. « J'aimerais davantage accompagner mes frères, l'un étant joueur pro au Toulouse Football Club, l'autre aspirant à le devenir. Pour être agent de joueur, il faut une licence, raison pour laquelle je prends part à cette formation », développe-t-il.

Pendant ses onze mois sur les bancs de l'école, Brehima Diarra est rémunéré par… Orange, groupe où il a été recruté en 2011. Pourtant, le cursus qu'il suit n'a rien à voir avec son métier de commercial dans les télécoms.

Si cela est possible, c'est parce que le groupe du Cac 40 expérimente un programme inédit : un « congé respiration » permettant à ses salariés de s'absenter durant trois à douze mois, en touchant 70 % de leur salaire. Un dispositif mis en place en janvier 2022, mais pensé avant même les confinements.

« On peut constater une forme de lassitude chez certains collaborateurs qui nous ont rejoints il y a longtemps et qui semblent être un peu perdus sur leur avenir dans l'entreprise. L'idée est de leur donner l'occasion de réfléchir à comment ils veulent gérer la suite de leur parcours chez nous », résume Gervais Pellissier, DRH du groupe.

Exercer dans une autre entreprise

Pas question pour autant de faire un tour du monde en bateau en famille. « Pour bénéficier de ce programme, les salariés doivent rejoindre des structures ou programmes qui participent à l'intérêt général », indique Gervais Pellissier.

Ils peuvent s'engager dans une association ou une ONG, enseigner, suivre une formation (l'un est par exemple inscrit à un cursus en philosophie, un autre à un programme pour devenir coach sportif), ou encore exercer… dans une autre entreprise ! Mais pas n'importe laquelle. « Il ne s'agit pas de fournir de la main-d'oeuvre gratuite à des entreprises qui pourraient se la payer, souligne Gervais Pellissier. L'idée est d'apporter l'expertise de nos collaborateurs à des structures qui en ont besoin, qui démarrent leur activité ou qui se relancent après un plan de sauvegarde par exemple. » Si la structure d'accueil des salariés accepte de les payer, leur rémunération totale ne doit toutefois pas dépasser celle qu'ils percevaient initialement chez Orange.

« Revenir plus motivés »

Ce congé a été pensé pour tous les collaborateurs de l'entreprise, quel que soit leur poste, cadre ou pas. Seules conditions pour y prétendre : avoir au moins dix ans d'ancienneté et occuper son poste depuis au moins un an. Pour candidater, les salariés constituent un dossier pour motiver leur départ, dossier examiné par une commission interne. « La hiérarchie d'un salarié ne peut pas s'y opposer, elle peut simplement reporter le projet d'un an si la période n'est pas optimale, par exemple si un ingénieur travaille sur un gros dossier », précise Gervais Pellissier.

Pour l'heure, ce programme est limité à 250 salariés par an, sur les 76.000 que dénombre le groupe en France. Si la direction trouve les résultats concluants à la fin de l'expérimentation en décembre 2023, elle envisage de l'élargir à 1.000 salariés par an et de le pérenniser. Et pourquoi pas, de l'étendre aux salariés qui ont moins de dix ans d'ancienneté.

 

À ce stade, 80 salariés en ont profité. Quand ils s'absentent, Orange leur garantit qu'ils retrouveront le même poste ou un poste équivalent. Mais leur permettre de faire une pause, n'est-ce pas prendre le risque de perdre des salariés qui trouveraient que l'herbe est plus verte ailleurs ? Trop tôt pour le dire puisqu'aucun collaborateur parti n'a encore terminé son congé respiration. « En voyant autre chose, certains vont retrouver le goût d'être chez nous et revenir plus motivés. D'autres vont se dire : 'Finalement non, je veux autre chose qu'Orange'. Je ne serais pas triste si ces derniers décident de s'épanouir ailleurs », assure Gervais Pellissier, le DRH.

Développer de nouvelles compétences

Ce qui est sûr, c'est que cette période loin de leur employeur permet à certains de mieux cerner leurs attentes. Exemple avec Delphine Ponge, 37 ans. Avant de devenir UX designer en 2021, elle a passé cinq ans dans le domaine des ressources humaines. « Des années intenses. J'avais besoin de faire une pause. »

Depuis juin et pour un an, elle oeuvre au sein de Valentin Haüy, une association d'aide aux personnes déficientes visuelles. Ateliers, rencontres avec des partenaires… Elle passe la moitié de son temps en rendez-vous à l'extérieur, alors qu'elle exerçait jusque-là exclusivement derrière un ordinateur. « Je me surprends à découvrir une autre manière de travailler, qui me plaît mieux. A mon retour dans l'entreprise, j'aimerais essayer de garder ces conditions de travail », explique-t-elle. Cette expérience lui permet aussi de mieux se connaître et de développer de nouvelles compétences.

Même constat pour Brehima Diarra. Commercial depuis onze ans, il commençait à trouver son quotidien répétitif et se sentait éreinté. Il avait « le sentiment d'arriver à la fin d'un cycle » et avait envie de voir autre chose, sans trop savoir quoi. « Ma formation me fait un bien fou, et j'y vois plus clair », sourit-il. Deviendra-t-il agent de joueurs à temps complet ? Non. Il dit vouloir s'occuper de ses frères en parallèle de son emploi au sein d'Orange. En revanche, il aimerait évoluer sur un autre poste, et ailleurs qu'en région parisienne. « Le cursus que je suis me donne confiance en moi pour travailler à l'étranger, notamment grâce aux cours d'anglais. » Il se voit bien déménager en Côte d'Ivoire ou au Sénégal, et occuper un poste de chef de projet pour Orange money, le service de transfert d'argent de paiement mobile du groupe. A écouter ces deux employés, Orange semble avoir réussi son pari : retrouver des salariés reboostés et contents de faire partie de la maison.

ET AILLEURS ?

L'entreprise de conseil et de technologie Accenture a mis en place en mai 2021 le « congé priorité personnelle », un congé de trois mois durant lequel ses salariés peuvent s'absenter en percevant la moitié de leur salaire. Chaque collaborateur avec cinq ans d'ancienneté peut en bénéficier, peu importe son poste, sans avoir à préciser la nature de son projet. Entre septembre 2021 et août 2022, environ 110 collaborateurs en ont bénéficié, sur les 10.000 que compte le groupe dans l'Hexagone.